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Synopsis du conte... || Ce conte fait ± 4 pages (11837 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Recueil : La forêt vive. Récits fondateurs du peuple insu

3. Être la bru de son mari : La fin de l’été

Rémi Savard (1934-20..)

Je vais te parler d'Aiasheu. « Arrête ça1... Allons ramasser des œufs », dit-il à son fils Aiashesh2. Il y avait une île dans la baie. Très loin au large. C'est là qu'il conduisit son fils. Dès qu'ils abordèrent l'île, il lui dit : « Toi, tu suivras la rive dans cette direction, moi, j'en ferai autant dans l'autre. » Son fils partit ainsi ramasser des œufs. Au bout d'un certain temps, il revint au canot en disant : « Eh ! mon père, j'en ai trouvé là-bas. - J'espère qu'ils sont très petits, dit Aiasheu. Montre-les-moi. - Les voici. - Ah ! ils sont trop gros. J'en ai déjà vu de plus petits par là. Va donc voir3 ! » Le garçon obéit. Dès qu'il fut hors de vue, Aiasheu sauta dans son canot et s'éloigna vers la terre ferme. Si bien que, lorsque l'enfant remonta sur l'île pour rejoindre son père, il vit que ce dernier était déjà loin sur la mer. « Mon père, tu m'abandonnes », cria-t-il. Rendu à destination, Aiasheu souffla en direction de l'île, qui devint aussitôt à peine visible. Un instant plus tard, on ne la voyait plus.

Aiashesh passait ses grandes journées à se promener dans l'île. Un jour, apercevant des goélands, il leur cria : « Goélands, ramenez-moi sur le continent ! - Quelqu'un d'autre le fera plus tard », répondirent-ils. Des eiders communs passèrent aussi par là. « Canards eiders, ramenez-moi sur le continent ! leur cria-t-il. - Quelqu'un d'autre le fera plus tard », répondirent les canards. Et puis ce furent des phoques. « Phoques, cria-t-il, ramenez-moi sur le continent.   Même réponse : « Quelqu'un d'autre le fera plus tard. » Tout en continuant à errer dans l'île, il devait bien se dire : Comment retournerai-je chez moi ? »

Une nuit, il rêva que son grand-père, Uteshkan-manitush4, l'avait ramené sur le continent. Le lendemain, il alla s'asseoir à l'extrémité d'une des pointes rocheuses de l'île. La mer était alors parfaitement calme. Soudain, des vagues se formèrent. Elles venaient dans sa direction. Puis quelque chose d'immense se dressa hors de l'eau. « Uteshkan-manitush fonce sur moi », cria Aiashesh en s'enfuyant sur le rivage. « C'est plutôt ton père, l'uteshkan-manitush, lui qui t'a abandonné dans l'île ! dit ce personnage. Va chercher une pierre plate et je te ramènerai sur le continent. » Aiashesh s'éloigna et revint en disant : « En voici une. - Bien, dit Uteshkan-manitush. Assieds-toi entre mes deux cornes et surveille bien le ciel. Si des nuages se forment à l'ouest, nous aurons du vent. Tu risquerais alors d'être projeté à l'eau. » Après qu'ils eurent quitté l'île, l'enfant s'écria : « Mon grand-père, il y a des nuages à l'ouest. » Et Uteshkan-manitush de dire : « Oh ! Frappe vite mes cornes avec la pierre. » Dès que l'enfant eut frappé les cornes, ce fut comme s'il avait donné une forte poussée à son grand-père. Ils filaient maintenant à vive allure. « Mon petit-fils, dit Uteshkan-manitush, y a-t-il une terre en vue ? - Oui, mon grand-père. - Très bien. Lorsque nous arriverons en eau peu profonde, je ferai un rapide tête-à-queue. L'eau se retirera alors un peu, dégageant le fond sur lequel tu n'auras qu'a sauter et ensuite monter le plus vite possible sur la plage. - D'accord ! répondit Aiashesh. De plus, mon petit-fils, ne chante plus jamais. Si un jour tu devais le faire, commence par décocher une flèche vers le ciel et une autre vers la terre. - Très bien, grand-père. » Dès cet instant, là-bas dans les territoires, on sut qu'il était de retour. Peu de temps après, le garçon s'écria : « Nous voilà rendus en eau peu profonde. » Uteshkan-manitush dit alors : « Je vais tourner et tu sauteras. » Il tourna soudain bout pour bout, ce qui fit baisser l'eau et permit à l'enfant de sauter sur le rivage sans qu'Uteshkan-manitush ait tou­ché le sable sec. Dès qu'il eut posé le pied sur le sable, Aiashesh courut vers le haut du rivage et se retourna pour tâcher d'apercevoir son sauveur. « Mon grand-père est retourné au fond », dit-il. Puis il s'éloigna en marchant sur le rivage.

Il finit par rencontrer sa grand-mère. Elle était seule. « Oh ! », fit-elle avec surprise en le voyant. C'est qu'il était devenu adulte. « Comment as-tu fait pour revenir ? dit-elle. - Mon grand-père Uteshkan-manitush m'a ramené. - Nous savions que tu étais en route5. Mais tu ne pourras jamais retourner chez ton père. Il te faudra d'abord passer à travers son peigne. Traverser ensuite sa résine6 - Enfin son broyeur à os7 se dressera devant toi telle une falaise. - Bon ! dit-il. C'est la résine qui m'inquiète le plus. » Cette vieille femme avait un renard blanc en guise de chien. « Grand-mère, j'emmène ton chien, dit Aiashesh. - Mais il se prendra dans la résine. - Je pourrais peut-être l'enduire d'huile pour qu'il puisse creuser un tunnel. - Fais donc à ta guise. » Il partit avec le « chien ». Arrivé au peigne, ce dernier s'était transformé en une forêt dense. Comme la vieille l'avait prévu, Aiashesh eut du mal à passer à travers. Ensuite ce fut la résine. Pendant que le renard blanc y creusait un tunnel, il l'enduisait d'huile. Après avoir réussi à passer, il renvoya le « chien » à sa grand-mère. Le dernier obstacle était le broyeur à os. Aiashesh ne tarda pas à se trouver face à une falaise escarpée, qu'il n'eut d'autre choix que de contourner.

Puis il continua à marcher, jusqu'à ce qu'il entende le bruit fait par quelqu'un qui coupait du bois. C'était sa mère. « Maman ! », cria-t-il. Elle se retourna vivement avec l'impression d'avoir entendu son fils. Mais elle ne vit qu'une mésange8 en train de mâchouiller une branche. « Ah ! lui dit-elle tristement, tu ne cherches qu'à me rappeler mon fils. » Elle reprit le travail. Puis... « Maman ! », cria encore son fils. Cette fois, elle en était certaine ; ce ne pouvait être que lui. Elle chercha autour d'elle. Il y avait bien quelqu'un. Qui était-ce ? Oui, c'était bien son fils ! Mais il était devenu un homme.  Mon fils ! Nous avions entendu dire que tu étais sur le chemin du retour. Ton père me rend la vie bien pénible : il m'oblige à dresser ma tente à l'écart de la sienne et, si je m'en approche, il me repousse en me lançant des cendres chaudes. - Maintenant que je suis là, dit son fils, va le trouver sans crainte ; je ne te quitterai pas des yeux. » Elle le conduisit à la tente de son père. Dès qu'elle eut entrouvert la porte, Aiasheu lui lança un mélange de cendres et de sable chaud pris dans le foyer. « Ça suffit, dit-elle. Notre fils est là. - C'est impossible. Jamais plus tu ne reverras ton fils. - Regarde donc toi-même. » Il s'étira pour voir à l'extérieur. Qui était cet homme là-bas ? Il comprit que son fils était devenu adulte. « Ah ! Mon fils ! Attends avant d'entrer », dit-il obséquieusement. Il s'empressa d'étendre une peau de caribou en guise de tapis, tout en pressant son fils d'entrer. Aiashesh pénétra dans la tente. Aiasheu déclara que ce tapis s'imposait pour souligner le fait que son fils revenait de très loin. Ce dernier fit voler le tapis d'un coup de pied en disant : « Pourquoi tant de frais ? C'était quand j'étais jeune qu'on devait prendre soin de moi. » Ensuite il s'assit. Son père coupa un morceau de graisse cuite9 et l'invita à se servir. Pendant que la mère et son fils mangeaient, Aiasheu chanta au rythme de son tambour. Quand il eut fini de chanter, il déclara : « À ton tour, mon fils. - Mais comment pourrais-je chanter ? La terre s'enflammerait si je le faisais. - Pourquoi la terre brûlerait-elle ? Moi qui suis un homme âgé, j'ai bien souvent chanté. Jamais la terre n'a brûlé. Chante. - Tant pis. » Aiashesh demanda à sa mère d'aller lui chercher son arc et deux de ses flèches. Quand elle revint avec ce qu'il lui avait demandé, il en tira une en direction du ciel et l'autre vers le fond de la terre. Après quoi, il entonna un chant. Il commençait déjà à y avoir de la fumée au loin. « Aïe ! Mon fils, dit Aiasheu, on raconte que la terre brûle là-bas. - Je t'avais prévenu », répliqua Aiashesh, avant de se remettre à chanter. L'incendie progressait rapidement. Aiashesh donna des instructions à sa mère : « Viens t'asseoir tout contre moi. - Et moi alors, demanda Aiasheu, que dois-je faire ? - Toi, tu fais un trou dans ta provision de graisse cuite, tu y entres et tu refermes ensuite le trou. - Très bien », répondit son père en s'exécutant. Le feu pénétrait maintenant dans la tente. Aiashesh et sa mère s'élevèrent dans les airs pour échapper au feu. Pour ce qui est d'Aiasheu,, sa graisse commença à fondre et finit par s'enflammer ; on l'entendit crier.

Quand la graisse eut complètement fondu, le feu s'éteignit. Il n'y avait plus qu'un très grand lac de graisse liquide dans lequel les animaux vinrent plonger. Le phoque sauta au fond et y nagea abondamment. C'est pourquoi aujourd'hui son corps est enveloppé de graisse. Castor se contenta de nager sur le ventre, de là l'absence de graisse sur son dos. Quant au caribou, il se contenta d'en boire ; c'est pourquoi on ne lui trouve de la graisse que dans l'estomac. Quant à la perdrix, elle se contenta de se frictionner sous les ailes et sur le dos. Au bout d'un moment, le lièvre surgit subitement de la forêt et d'un bond se retrouva dans l'huile. On s'empressa de le sortir de là et on l'essora en le tordant. Puis il fut lancé dans la forêt. Au bout d'un moment, il en sortit à nouveau, mais cette fois il ne fit que tremper à peine ses mains dans la graisse fondue et se les passa sur les omoplates. Puis il se retira.


1. Aiasheu s'adresse ici à son fils. Le conteur semble s'être interrompu dès les premiers mots de son récit. Nous reviendrons sur ce faux départ.
2. Aiasheu + suffixe diminutif -esh =  Aiashesh (Aiasheu fils).
3. On comprend que le père envoie cette fois son fils explorer l'autre versant de l'île.
4. Espèce d'insecte du genre léthocère (Lethocerus americanus) communément appelée « barbeau » (Madhott et Lescop, 1977). Nous reviendrons sur cet important personnage.
5. Lorsque je demandai au conteur comment les gens l'avaient appris, il répondit que c'était peut-être grâce aux animaux auxquels l'enfant avait demandé de le ramener, possiblement le goéland.
6. Pitshu, « gomme, résine ». On se souviendra que, selon une des variantes du récit de Tshakapesh, les testicules du père, lancés dans un conifère, s'étaient transformés en bulles de résine durcie.
7. Pilon en pierre servant, entre autres usages, à broyer les os longs du caribou pour la préparation d'un mets sur lequel le récit reviendra plus loin.
8. Pitshikeshkeshîsh, « mésange à tête brune » (Parus hudsonicus) (Clément, 1995, p. 548).
9. Mets de luxe mangé lors des grandes occasions (mariages, sépultures, visites, etc.). Recette de base : pulvériser les extrémités des os longs du caribou au moyen d'un pilon en pierre ; introduire dans cette poudre quelques rondelles de moelle tirée de la portion longue de l'os, afin de donner de la consistance au produit fini ; mettre le tout à bouillir. Une fois terminé, le pimi se présente comme une graisse blanchâtre ayant la consistance du beurre. On le consomme en petites portions, en raison de sa rareté. Véritable mets national produit sur le feu domestique à partir de la substance même des os de l'animal emblématique de cette culture de chasse, le pimi est en quelque sorte l'inverse de cette autre graisse animale ne résultant d'aucune intervention humaine (uin), qu'on trouve sous la peau du gibier (castor, loup marin, lièvre, etc.).

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- FIN -

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