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Ce conte fait ± 5¾ pages (16051 caractères)
Pays ou culture du conte : Canada.

Cocorico !

Isabel Dos Santos (19..-20..)

Il était une fois, il y a déjà très longtemps, un paysan qui vivait dans un petit hameau du nord du Portugal. Il s’appelait Joaquim, il habitait une petite maison en pierre de granite, comme tant d’autres, et il menait une vie heureuse et sans histoire avec sa femme, Joaquina… Enfin, c’est ainsi que ma grand-mère commençait son histoire, à l’heure où les cigales et les criquets commencent à striduler et à craqueter, comme toutes les histoires qu’elle nous racontait. Le moment venu, elle nous appelait toujours dans le même ordre, toujours en commençant par le plus vieux et en finissant par le plus jeune, ainsi personne n’avait rien à redire : « Joana, Joaquim, José, Luisa! ». Pour gagner les meilleures places — qui étaient sans conteste celles à ses côtés —, nous accourrions sans tarder et nous nous assoyons sous la pergola de vigne de la grande cour. Puis, dans un silence entrecoupé de soupirs qui en disaient long sur notre empressement, nous attendions qu’elle finisse de ranger dans son panier de couture cette nappe de lin qu’elle brodait sans conviction ni talent depuis plusieurs années, qu’elle caresse Pastor derrière les oreilles, et Migas sous le ventre. Rendus-là, chien et chat soupiraient de plaisir et nous d’impatience. Alors, elle nous regardait par-dessus ses petites lunettes toujours un peu tordues et encrassées et elle commençait : « Era uma vez ».

Alors voilà, il était une fois Joaquim, un paysan sans histoire. Un beau jour, comme ça, sans avertir, il déclara à sa femme, Joaquina, qu’il voulait aller à Saint-Jacques-de-Compostelle ou, plutôt, à Santiago de Compostela comme il disait dans sa langue. Ils étaient encore couchés, le coq n’avait pas encore chanté et Joaquina crut d’abord que son homme était encore en train de rêver à voix haute, comme il lui arrivait quand il mangeait un peu trop la veille. Mais qu’est-ce que c’était que cette idée? Ils n’avaient pas encore fini de tailler la vigne, la clôture du poulailler menaçait de tomber et son Joaquim voulait aller se promener? Même sachant combien son homme était pieux, elle ne pouvait pas s’imaginer qu’il songe sérieusement à laisser la ferme pour aller voir un saint, aussi sacré fût-il. Ainsi, elle se leva et s’en alla à la cuisine, convaincue qu’un bon déjeuner remettrait la tête de Joaquim à la bonne place. Mais, après avoir mangé avec grand appétit deux œufs à la coque, une tranche de pain de maïs et un bon morceau de fromage, Joaquim pris tendrement les mains de Joaquina entre les siennes et, de cette voix douce et posée qui lui avait toujours fait chavirer la tête, il lui a redit oh combien il souhaitait faire ce pèlerinage.

Je ne connais pas les arguments que Joaquim a utilisés pour convaincre Joaquina du bien-fondé de sa requête. Comme je vous l’ai déjà dit, cette histoire est très ancienne, plus ancienne que moi, plus ancienne que ma grand-mère. Joaquim avait peut-être fait un vœu à Saint-Jacques : « S'il vous plaît, faites que mon fils rentre vite à la maison. Il y a plus d'un an qu'il s'est embarqué pour l'Inde et que nous sommes toujours sans nouvelles de lui ». Ou encore : « Mon cher Santiago, fais que notre chère Antonieta guérisse ». Nous ne le saurons jamais parce que les vœux sont secrets et sacrés, personne ne les dévoile, ni la personne qui les prononce, ni le saint qui les reçoit. Mais nous savons que Joaquina s’est laissé convaincre et qu’elle lui a préparé un petit baluchon pour le voyage, avec du pain, des châtaignes, du fromage et du « chorizo ».

« Fais attention aux brigands, mon cher ami! » a-t-elle encore clamé, la voix voilée par quelques larmes rebelles, au moment où Joaquim disparaissait au bout du chemin qui menait vers le nord.

Un jour, après avoir déjà parcouru un long bout de chemin, mais avec encore beaucoup à faire, Joaquim s'est arrêté dans une auberge au bord de la route, à l'entrée de la ville portugaise de Barcelos.

L'auberge était bondée de monde puisque le roi, revenant de la chasse, avait décidé d'y faire halte. Le pèlerin s'est assis discrètement dans un petit coin de la grande salle à manger. Il a retiré de son baluchon une tranche de pain et des olives et se préparait à manger quand l'aubergiste s'est approché et lui a demandé s'il ne souhaitait pas commander quelque chose d’autre. Comme c'était l'usage, le paysan s’est présenté en disant d'où il venait et où il s'en allait, il a ensuite demandé la permission de continuer son repas et l'aubergiste la lui a accordée : il ne pouvait pas faire autrement puisqu'en cette époque lointaine, la tradition demandait d'accorder l'hospitalité aux pèlerins et qu’il était très, très mal vu d'en faire autrement. L’aubergiste s'est retiré, mais son sourire en coin ne laissait rien présager de bon. Joaquim a mangé son frugal repas, il a soupiré, il a mangé les miettes de pain qui étaient tombées sur la table et il a fermé les yeux. Il était fatigué. S'ennuyait-il peut-être de sa femme, de sa pauvre Antonieta, ou regrettait-il simplement de ne plus avoir d'olives? À l'époque personne ne l'a interrogé à ce propos et maintenant il est trop tard. Pendant que Joaquim dormait, l'aubergiste s'est approché sur la pointe des pieds et a déposé quelque chose dans le baluchon du pèlerin.

Il faut savoir que cet aubergiste était doté d'un caractère plutôt mauvais et mesquin. Je ne sais pas pourquoi, ma grand-mère ne le savait pas et, à l'époque où cette histoire s’est passée, personne ne le savait non plus. Il y avait des voisins qui disaient que l’aubergiste était ainsi malin parce qu'il avait été abandonné par sa femme, alors que d'autres croyaient que sa femme l'avait quitté parce qu'il était malin. Moi, je pense qu'il avait ce caractère parce qu'il croyait que les gens se moquaient de lui, mais je ne sais pas ce qui l'amenait à croire cela. C'est vrai qu'il avait un bien grand nez, mais il y avait à Barcelos et dans les environs des nez bien plus grands que le sien, que des gens exhibaient à la lumière du jour, plein la face, et portaient très bien en n'étant ni plus ni moins heureux que ceux qui avaient des nez moyens, petits, très petits ou minuscules. Malheureusement, l'aubergiste ne s’est jamais attardé à réfléchir sur le bout de son nez.

L'auberge bourdonnait d'animation et le bon vin coulait à flot quand, soudain, un verre tomba au sol réveillant notre pèlerin en sursaut. Puis, remarquant le verre par terre et la fête dans l'air, il a souri. Oh qu’il aimait les fêtes, qu’il aimait danser! Mais Saint-Jacques-de-Compostelle était encore loin et il lui fallait reprendre la route. Son baluchon à l’épaule, il s'apprêtait déjà à partir quand l'aubergiste s'est écrié : « Agarrem que é ladrão! ». Il criait si fort que tout autour s'est subitement arrêté : les gens, le vin, la musique, les chiens, les chats, les souris et le roi lui-même!

«  Il m'a volé ce brigand, il m'a volé! » clamait toujours l'aubergiste.

Devant tout ce vacarme, le roi commençait à s'impatienter : qu'est-ce que c'était que cette histoire qui l'empêchait de manger tranquillement? Il faut que je vous fasse une confidence à propos de ce roi, assis dans la salle à manger de l'auberge... À bien l’observer, je dirais qu’il n’était pas une mauvaise personne bien qu'il fût un très mauvais roi. C'est-à-dire, comme personne il était sensible, pas trop sévère, pas trop ambitieux, bref, un bon vivant aimant la chasse, la bonne bouffe et les fêtes. Mais en tant que roi il était plutôt négligent, peu attentif, paresseux. Parfois, les choses de l'État l’ennuyaient tellement qu'il ordonnait n'importe quoi, pour en finir au plus vite. C'est ainsi qu'il pouvait parfois devenir très injuste. Mais pendant que je vous faisais ces confidences sur le caractère de ce roi, les clients de l'auberge, contents d'avoir une occasion de se distraire pour le moment et une histoire à raconter pour le lendemain, s’étaient arrêtés de boire, de chanter et de gueuler et écoutaient l'aubergiste déclarer de sa voix la plus grave : « Noble Majesté, cet homme m'a volé. »

« Le vol est un crime très grave puni par la pendaison », a aussitôt proclamé le roi d'une voix toute solennelle. Puis, regardant le pèlerin, mais en pensant surtout au magnifique coq grillé qui allait certainement refroidir dans sa grande assiette d'argent, à cause de cet imbroglio, il a ajouté :

« Tu es accusé de coq! De coq grillé... De vol grillé... De vol qualifié. Qu'as-tu à ajouter pour ta défense? »

« Rien. Je n’ai rien fait... », a répondu le pèlerin.

« Menteur! », lui a crié l'aubergiste. Et ce disant, d'un geste théâtral, il a sorti du baluchon de Joaquim la fourchette qu'il y avait lui-même cachée : « Voici la preuve : une fourchette en argent massif avec le nom de cette auberge gravé sur le manche ».

Les clients de l'auberge qui depuis le début ponctuaient l'événement de « oh! » prononcés à voix basse, se sont alors laissés aller d'un seul souffle : « ah! ». Le roi y est aussi allé d'un grand ah! Royal, alors que le pèlerin taisait un « ah! » étonné. Pour différentes raisons, tout le monde était intéressé, étonné et bouleversé par l'apparition de la fourchette. Après avoir laissé le silence se rétablir, l'aubergiste s'est approché du roi et a déposé la fourchette à ses pieds. Le panache de ses gestes conférait à ses mots une crédibilité incontestable. Moi-même, je ne saurais pas jouer son rôle avec autant de grâce et d'authenticité. Ce faisant, il dit :

« Majesté, je dépose à vos pieds omnipotents la preuve du crime crapuleux que cet être ignoble a commis ».

Bien que le roi n'était pas dans son assiette, toujours à cause du coq grillé qui continuait à refroidir dramatiquement, il n'a pu s'empêcher de sourire. Il aimait les beaux mots! « Pieds omnipotents »… Ça sonnait très bien à ses royales oreilles. Il allait suggérer à son chroniqueur d'utiliser cette expression dans sa biographie.

« Cette fourchette est bien une fourchette! Sur cela, je n'ai aucun doute », dit le roi, la bouche pleine.

« Cette fourchette-là est bien une fourchette! Pas de doute là-dessus », répétait le peuple, le ventre vide, parce que parfois c’est comme ça, le peuple répète ce que les puissants disent.

« Votre Majesté, je dis que ceci est une fourchette et je dis aussi que je ne l'ai pas volée! », a bégayé le pèlerin.

« Alors que fait-elle dans ton sac? Penses-tu que Sa Majesté va passer le reste de la journée à attendre que tu te décides enfin à confesser ton crime? », a poursuivi l'aubergiste.

À ces mots, le roi a sursauté. Non, non et non! Ce voyageur n'allait pas l'occuper tout le reste de la journée et l'empêcher de manger en paix. Furieux, il s'est mis à crier :

« Si tu penses que je vais attendre toute la journée que tu te décides à confesser ton vol, je te dis que tu te trompes! Moi, moi, je commence déjà à refroidir, je n'ai plus de sauce pour t'écouter et je te donne une dernière chance pour que tu puisses m’expliquer toute cette histoire, sinon je te déclare coupable et je te fais pendre! »

Le pèlerin était si impressionné par la voix de tonnerre du roi qu'il n’a été capable de lui répondre.

« Très bien », dit le roi, la fourchette déjà prête pour la prochaine bouchée, « puisque tu ne dis rien, je te déclare coupable du crime de vol. Amenez-le tout de suite ».

Déjà les soldats attachaient et poussaient le pèlerin quand il a finalement parlé :

« Attendez! Je vais tout vous raconter. Quand notre châtelain demanda à mon fils Pedro s'il ne voulait pas s'embarquer pour l'Inde, nous, moi et ma femme, nous nous sommes sentis très fiers de sa demande, mais aussi un petit peu craintifs, parce que de l'Inde nous ne savions rien sauf l'odeur de cette épice qu'on appelle poivre et que les riches achètent au marché. Alors, moi et ma femme nous nous sommes habillés comme quand on va à la messe et nous sommes allés voir le Seigneur du domaine. Le Seigneur nous a fait la grâce de nous écouter et, après, il nous a dit que notre fils avait été touché par les ailes de la fortune… Oui, c'est ça qu'il a dit, je me rappelle comme si c'était hier, et aussi que notre Pedro ne devait pas hésiter une minute, qu'il devait partir tout de suite en quête de la gloire et de la richesse vers ces pays du bout du monde où on dormait dans des draps de pure soie, et où on parfumait le lait avec de la cannelle. Et, en parlant des richesses de ces pays du levant, le noble Seigneur utilisait des mots si extraordinaires que j'ai été emporté, mes pieds touchaient à peine le sol, ma tête tournait, mon cœur battait et toutes les richesses dont le noble Seigneur parlait étaient là, à la portée de nos mains, au fond de son regard, de mon regard, du regard de ma femme. »

« Mon fils est parti dans un grand vaisseau aux voiles blanches, il y a déjà plus d'un an, et depuis nous n'avons pas eu de ses nouvelles. Je pense à lui et j’espère voir son image entourée par les mots que le noble Seigneur avait prononcés et qui lui annonçaient la fortune et la renommée, mais rien ne se passe. Avec le temps, ces grands mots sont devenus des mots, des mots aussi simples que les miens et ils ne protègent plus mon fils contre les tempêtes, contre les pirates, contre les maladies et la tristesse. J'ai alors compris que ce n'est pas parce qu'on dit les choses d'une très belle façon qu'elles deviennent vraies. Depuis ce temps, j'essaie de comprendre ce que les gens me disent avec tout ce qu'ils sont au-delà des mots et des discours qu'ils prononcent, avec leurs gestes, avec leurs cœurs, avec leurs yeux. Je sais aussi que la seule façon d'aider mon fils à revenir est d'y croire, d’y croire passionnément avec toute la force de mon amour de père et de ma foi. »

« Je n'ai pas volé cette fourchette. C’est vrai. C’est simplement dit et je ne saurais pas vous le dire autrement. Je ne peux pas être pendu, parce que je crois que mon fils a besoin de mes prières pour rentrer chez nous de nouveau. Et c'est avec la force de cette foi qui m'habite que je demande à Saint-Jacques, qui me connaît depuis longtemps, d'intercéder en ma faveur du haut du ciel, en faisant que le coq qui repose dans l'assiette de Votre Majesté se lève et chante maintenant s'il est vrai que je ne suis pas coupable ».

Un grand éclat de rire a aussitôt retenti dans la salle, haut et fort. Le roi, les soldats, le peuple, l'aubergiste riaient quand, tout à coup, un son surélevé a percé à travers les éclats de rire :

« Cocorico! Cocorico! » chantait le coq, juché sur son assiette d’argent.

Évidemment, le pèlerin a été libéré sur-le-champ et l'aubergiste a été puni. Les gens du pays et le roi lui-même ont demandé des excuses au pèlerin. Parce que dans cette histoire, tout se termine bien. Même que, au retour de son maître, la belle Antonieta mangeait déjà de l'herbe du pré avec un immense appétit alors que son fils, déjà revenu de la guerre, recueillait à grand seau son bon lait crémeux. « Meuuhhh », dis Antonieta dans sa langue de vache, en voyant son cher maître se pointer au bout du chemin par où arrivaient toujours les vents les plus froids.

Chez moi, j'ai un petit coq de Barcelos en terre cuite. Parfois, le matin, un petit rayon de soleil vient jouer sur sa belle queue multicolore. Si un jour vous passez devant chez moi, vous apercevrez, sur le bord de ma fenêtre, ce coq multicolore qui rend hommage à la force inexorable de la vérité :

« Cocorico! Cocorico! »


Conte de Isabel dos Santos, librement inspiré de la légende portugaise « Le coq de Barcelos ».

* © Ce conte est soumis à des droits d'auteurs exclusifs au créateur ou au titulaire attitré et ne peut pas être reproduit d'aucune manière sans une autorisation formelle autorisée. Veuillez contacter l'auteur pour plus d'information.

- FIN -

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